Le carnaval portelois et equihennois, entre particularismes et dunkerquisation

Sur la Côte d’Opale, la tradition carnavalesque, bien que plus discrète que celle de Dunkerque, est historiquement très vivante et dont certains particularismes se transmettent encore aujourd’hui. Présente à Boulogne-sur-Mer pendant le XIXe siècle et disparue après la Seconde Guerre mondiale, elle se limite, au niveau Boulonnais, dorénavant à la ville limitrophe de Le Portel et au village d’Equihen-Plage. L’objectif de cet article est de présenter ce qui fait la spécificité de ces carnavals, ce qui les sépare et ce qui les lie aux traditions dunkerquoises.

D’abord, le particularisme mis en avant de nos jours des carnavals portelois/equihennois passe par les costumes. Si à Dunkerque le clet’che s’illustre notamment par des références aux tenues traditionnelles écossaises, des plumes de faisan et des visages grimés, la tradition boulonnaise se manifeste par le masque, que ce soit par un simple loup, un domino pourvu d’une bavette (voir les zooms) ou des masques intégraux en latex. Le maquillage est en revanche peu fréquent sur les visages des carnavaleux portelois et equihennois. 

Zoom : Le domino 

D’une origine assez difficile à cerner, mais dont la présence dans le Boulonnais est attestée dès la seconde moitié du XIXe siècle, le domino est constitué d’une grande robe, généralement noire, et d’une capuche. Les bords sont décorés avec de la dentelle (en général blanche mais parfois noire). La tenue est complétée d’un loup avec une bavette accrochée pour camoufler le visage et de gants. On peut émettre l’hypothèse, en analysant l’esthétique noire et sa forme avec notamment sa large capuche, selon laquelle cette tenue, à l’origine, visait à se moquer des tenues des médecins ou des ecclésiastiques. 

Zoom : Le pec pec

Les acteurs de cette pratique portent une tenue que l’on retrouve surtout à Le Portel mais également à Equihen et qui se rapproche de celle des bandes de musiciens de Dunkerque par les cirés jaunes, hérités de la tradition maritime de ces trois villes. Le pec pec est généralement un homme (car les femmes ne pouvaient pas monter à bord des navires) équipé de sa tenue de marin (des bottes au ciré) ainsi que d’un grand masque représentant un personnage réel, fictif ou zoomorphe, pour distribuer des friandises aux enfants à la sortie des écoles, le lundi après-midi.

Zoom : Le mousquetaire

Il a fêté ses 100 ans en 2025. Le mousquetaire reprend le même principe que le domino, à savoir l’intrigue, un loup et une bavette. Mais comme son nom l’indique, la tenue ressemble à celle des mousquetaires du XVIIe siècle dans les représentations courantes, avec un grand chapeau (et une perruque), des bas collants, une cape. On peut noter qu’en matière de couleurs, c’est beaucoup plus varié ; les familles faisant carnaval ensemble, on pourrait identifier chaque groupe par une couleur. Ces groupes restent en ligne, bras-dessus bras-dessous pour suivre l’Arquain (issue du picard arquain qui veut dire requin et qui dénomme les equihennois, il s’agit ici du mannequin habillé en mousquetaire qui guide le carnaval et qui est brûlé au lendemain du mardi-gras) tout au long du défilé.

Le deuxième élément emblématique du carnaval portelois est la règle de l’intrigue. En effet, quand un Dunkerquois fait « Chapelle », c’est-à-dire visite des maisons ouvertes à (presque) tous, le Portelois et l’Equihennois vont faire les « maisons ». Les carnavaleux se retrouvent face à des portes closes, les hôtes doivent tenter de reconnaître la bande d’une dizaine de personnes qui leur fait face et qui profite du camouflage complet pour changer de voix et s’exprimer de façon inhabituelle. Une fois le groupe reconnu, ils est invité à boire un verre et à manger des crêpes proposées par la maison. Ces exercices se font généralement à la nuit tombée ou très tôt le matin (le maire de la ville en fait souvent les frais).

En matière de calendrier, plusieurs temps forts spécifiques rythment chaque journée, là où Dunkerque et ses environs se démarquent par le parcours de leur bande. Ainsi, le samedi soir correspond, depuis quelques années, à « l’avant-bande », où le domino est mis en avant ; « Batisse » est sorti de la mairie, et les clés de la mairie sont remises à une personne ou un groupe jusqu’à Mardi Gras. Le dimanche est le moment du grand défilé, où les associations et groupes présentent des chars et des chorégraphies thématiques pour se distinguer auprès de la foule et du jury. Le lundi, c’est la journée des enfants, à la sortie des écoles, les « pec pec » (voir le zoom) distribuent des bonbons au bout de leurs cannes à pêche (il ne faut pas récupérer les friandises avec les mains). Le Mardi Gras est davantage la journée d’Equihen qui ferme son école primaire l’après-midi pour que toute la famille puisse participer au défilé de « l’Arquain » l’après-midi, tous costumés en mousquetaires. Le soir, après les bals organisés, Batisse est brûlé sur la plage de Le Portel quand l’Arquain est brûlé au petit matin.

Zoom : Le brûler

Chaque carnaval se clôture par le brûler du « Batisse » ou de « l’Arquain » érigé pour l’occasion du carnaval sur la plage. Quand Batisse est brûlé en fin de soirée, et ouvre pour les groupes la tournée des dernières maisons toute la nuit, l’Arquain est brûlé au petit matin pour conclure une dernière nuit de fête dans les maisons.

Il faut souligner toutefois que, malgré les efforts et l’attachement des habitants à ces pratiques locales, l’influence de Dunkerque sur les pratiques carnavalesques prend de plus en plus d’ampleur. À tel point que les dominos deviennent minoritaires, que le répertoire musical se rapproche de celui de Dunkerque et des Capenoules (groupe lillois des années 1960 qui a revitalisé et popularisé les chants picardisants anciens), au détriment des chansons écrites spécialement pour le carnaval pendant le XXe siècle et des chansons des revues. Cette « dunkerquisation » est d’autant plus paradoxale qu’à Dunkerque, on dénonce de plus en plus l’arrivée de « touristes » qui ne connaissent pas forcément les codes du carnaval dunkerquois et sont attirés par son ultra-médiatisation. 

Bibliographie

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LIENS POUR APPROFONDIR

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