Chantier naval à Étaples
Contrairement à Boulogne, c’est une pêche artisanale et locale que pratiquent les marins-pêcheurs d’Étaples, où le hareng demeure « roi ». La flottille est toujours constituée aujourd’hui d’une quarantaine de bateaux qui accostent désormais à Boulogne, du fait de l’ensablement de l’ancien port d’Étaples. Mais les marins continuent de résider dans la ville et leur communauté constitue le support actif d’un patrimoine maritime fondé sur la pêche et la construction navale. Il existait trois chantiers à Étaples et c’est peu après la fermeture du dernier, le chantier Leprêtre, en 1991, que la municipalité a installé dans ses locaux un Chantier de construction navale traditionnelle. À la fois musée et atelier de restauration d’anciens chalutiers en bois, celui-ci vient d’être labellisé Patrimoine culturel immatériel.
Un chalutier inscrit « Monument historique » à Étaples

Construit en 1958 au chantier Caloin & Leprêtre, le Charles de Foucauld est l’un des derniers chalutiers en bois construit dans la région. Les sept hommes qui constituaient l’équipage, pêchaient le hareng en Mer du Nord et dans la Manche, mais aussi carrelets, soles, limandes maquereaux, etc. Désarmé en 1981, du fait de la concurrence portée par les bateaux en acier, le Charles de Foucauld est aujourd’hui revenu sur son lieu d’origine, lui-même transformé en chantier de construction navale traditionnelle. La municipalité a tenu à le conserver et à le restaurer, tant il est emblématique des chalutiers étaplois (poupe en « cul de poule » et chalutage latéral) et du mode de vie des pêcheurs qui partaient pour de courtes marées, de trois à cinq jours, et ne pêchaient jamais le dimanche. Trois ans après son désarmement, il était classé « Monument historique ».
Outils traditionnels de charpentier de marine, Étaples

Les chantiers d’Étaples possédaient une technique particulière de construction des bateaux en bois : la construction à clin, qui s’appliquait aux canots et bateaux d’échouage, tel le flobart, répandu sur la côte d’Opale. Les bateaux à clin sont aisément reconnaissables à leur coque constituée de planches qui se superposent légèrement les unes sur les autres vers le bas. Seuls quelques rares charpentiers possèdent aujourd’hui le savoir-faire qui permet de restaurer, voire de construire ces bateaux traditionnels, progressivement abandonnés dans la seconde moitié du XXe siècle. C’est le cas de Jérôme, qui, depuis 1998, est le dernier détenteur à Étaples de ces savoir-faire qui permettent de réparer les bateaux en bois, comme le Charles de Foucauld. Les outils présentés ici, ne sont pas ceux avec lesquels il travaille au quotidien, mais ils contribuent à familiariser les apprentis avec la charpenterie traditionnelle qu’il a à cœur de transmettre. De ce fait, cet art constitue un patrimoine vivant et c’est à ce titre qu’il a été inscrit à l’inventaire du Patrimoine culturel immatériel de la France.
Noms des bateaux : Chantier de construction navale d’Étaples/Maréis

À l’instar du Chantier de construction navale, c’est la municipalité qui a créé en 2001, dans l’ancienne corderie de l’usine Saint Frères, un centre d’interprétation de la pêche artisanale : Maréis. Les deux institutions, situées l’une en face de l’autre en bordure des anciens quais, collaborent étroitement. Le chantier comporte ainsi, à côté d’un espace dédié à la réparation des bateaux, un espace muséographique. On peut y voir juxtaposées les unes aux autres, les anciennes plaques sur lesquelles sont inscrits les noms des bateaux d’Étaples. De « ND du Carmel » à « Gloire à Ste Thérèse » en passant par « Jésus de Nazareth » ou « Mater Dei », la consonance religieuse de ces noms peut paraître étonnante aujourd’hui. À cela, l’un de nos interlocuteurs répond : « Dans la marine, on faisait des prières avant de partir… le patron disait “Pater, Ave”, les gens se mettaient à genoux, ils enlevaient leur casquette et priaient en passant devant le Calvaire » (les villes de Boulogne et d’Étaples ont chacune un Calvaire du marin où sont inscrits les noms des pêcheurs morts en mer). « On faisait des prières avant de mettre le filet dans l’eau, avant de le remonter, si le temps changeait… » (Jean-Pierre Ramet)
Fête du hareng-roi, Étaples

Très répandue dans les ports côtiers, la Fête du hareng – ou Hareng-roi – à Étaples est l’une des plus courues, attirant un public venu tant des communes avoisinantes que de toute la région. Chants de marins, groupes folk, stands de vente des produits locaux (englobant la Belgique et la Hollande), expositions, contes, bals et autres animations se succèdent sans discontinuer tout au long d’un week-end. Célébrant l’arrivée du hareng sur les côtes de la Manche, la fête a lieu chaque année en novembre. Si les quotas alloués à cette pêche ont drastiquement diminué depuis cinquante ans, la ville n’en vit pas moins à l’heure du hareng. Celui-ci est proposé à la dégustation sous diverses formes : mariné, fumé (kippers), en soupe et surtout grillé sur les étals disposés le long des quais, qui dégagent une fumée à l’odeur bien reconnaissable. Certaines années, ce sont près de quatre tonnes de hareng qui sont consommées en deux journées.
Concert au chantier naval lors de la fête du hareng, Étaples

Le chantier de construction navale est aussi un lieu de convivialité. Lors de la dernière fête du hareng (18 et 19 novembre 2023), les musiciens folks qui animaient la soirée avaient du mal à se faire entendre, tant le public donnait de la voix, reprenant les chants à tue-tête, tandis que se déployaient des farandoles endiablées au travers des barques, poutres et autres outils servant à la restauration des bateaux. Au fond veillait l’ombre tutélaire du Charles de Foucauld.