Le carnaval de Dunkerque est né de la rencontre entre plusieurs traditions festives : le carnaval traditionnel hérité des traditions médiévales et la « Foye », une fête du XVIIIe siècle donnée aux marins-pêcheurs avant le départ de la pêche aux harengs et à la morue en Islande par les armateurs. Ses traditions s’agglomérant ont donné naissance à la Visschersbende, la « bande des pêcheurs » en flamand. Les temps forts de ce Carnaval se déploient sur trois jours successifs appelés les Trois-Joyeuses où trois bandes de carnavaleux, La Citadelle, Rosendaël et Malo vont s’élancer pour des processions carnavalesques. C’est alors le défilé de masquelours (carnavaleux en Dunkerquois) revêtant leur plus chatoyant clet’che (costume composé de vêtements récupérés), chapeaux fleuris et emplumés et munis de leur berguenaere (parapluie). Les carnavaleux et carnavaleuses sont organisés en bandes et défilent derrière la « clique » (la musique) dirigée par le tambour-major. La nuit, toutes et tous se retrouvent dans les bals, chantant et dansant à l’unisson sur des airs de carnaval et des musiques actuelles, au profit d’associations caritatives.
Au bal de l’Oncle Cô.
Le bal de l’Oncle Cô ouvre la période des « Trois joyeuses ». « L’oncle Cô » évoque un ancien pêcheur en Islande. Cô est un diminutif de François ou de Jacques (Jacobus en Flamand). Tous les tambours-majors se nomment Cô suivi du nom d’un alcool depuis Cô-Genièvre en 1870. Le bal précède la sortie de la bande de Dunkerque du lendemain. Il est organisé par l’association philanthropique et carnavalesque « Les petits Louis » depuis 1951. « P’tits Louis » doit son nom à ses deux fondateurs, Louis Spitaels et Louis Leroy. Avant qu’elle ne fusionne avec Dunkerque, elle était l’association officielle de Rosendael. L’organisation nécessite environ quatre mois de travail pour le comité et l’aide de trois cents bénévoles le jour du bal. Pour assurer la « charité dans la joie », les sommes recueillies sont majoritairement à destination des personnes en situation de handicap.
Chapeaux du Bal de l’Oncle Cô

Au vestiaire du bal de l’oncle Cô, on trouve des carnavaleux et des carnavaleuses coiffés de chapeaux extravagants. Ces chapeaux sont à faire soi-même à partir d’éléments recyclés, babioles, plumes de poulet ou de faisan, fleurs artificielles récupérées dans les poubelles de cimetières, boa, écussons, sous bock et peluches sur une base de chapeaux de pailles ou de feutres, bonnets, turbans, passoires ou même vieux slips. Pour les moins doués ou ceux qui manquent de temps, on peut les faire fabriquer par une spécialiste. La somme utilisée pour l’achat du chapeau sera ensuite reversée à une association philanthropique dunkerquoise dédiée.
Maquillage noir et blanc au Bal de l’oncle Cô

Les masquelours, les carnavaleux, carnavaleuses et leurs enfants rivalisent de créativité (ou pas) pour la composition de leurs clet’che (leurs costumes) et pour leurs maquillages, le « grime ». Ils doivent être méconnaissables. Selon les bandes, les traditions familiales, les personnages emblématiques, le choix de son animal totem, des codes couleurs existent mais c’est selon le goût et l’imagination de chacun.
Carnavaleux rouge et blanc à sa fenêtre

Le maquillage et le choix des couleurs est propre à chacun et chacune, même si des codes couleurs communs existent pour créer à plusieurs une petite bande. La bichromie est récurrente dans les maquillages de carnaval. On pourra y voir une réminiscence des costumes de bouffons ou d’arlequins des temps anciens.
Détail chapeau en sous-bock

Sur les costumes et chapeaux des carnavaleux et carnavaleuses trônent souvent des logos des bières locales, lesquelles englobent les bières belges tant la frontière joue peu pour les amateurs de bière, de telle ou telle localité ou abbaye. Ces sous-bocks peuvent souligner les origines du carnavaleux ou de la carnavaleuse, une appartenance identitaire, ou un simple goût pour la marque de bière ! De même, il existe beaucoup d’éléments décoratifs qui agrémentent, costumes, chapeaux, parapluie, plumeau, bâtons divers et même parfois le tambour.
Carnavaleux vert fluo au Titi

Chapeau fleuri à la peluche dragon

Dans les sociétés occidentales, la couleur verte a longtemps été associée au poison et à la maladie ou aux ennemis de la chrétienté comme les diables, sorcières, lutins ou génies des bois et des eaux, au vert sombre des reptiles (dragons) jusqu’aux petits hommes verts de la science-fiction (les martiens). Les peintres Nord de l’Europe, contemporains d’Érasme et de son Éloge de la Folie, représentaient les « fous », ceux qui se détournent de la voie de Dieu, en costumes vert et jaune. Le vert revient en force avec la référence au végétal, au bio, et à la préservation de la planète, au changement ou à la chance (le tapis vert). Au Carnaval de Dunkerque, le vert peut symboliser un animal totem comme la grenouille, le dragon ou sur le chapeau « Titi le canari » qui se décline en vert fluo et jaune. Le rose fluo des boas rencontre également un grand succès.
Polichinelles à la fleur

Personnage historique et légendaire du carnaval de Dunkerque au XIXe, le « Pierlala », le « polichinelle-vampire » effarouchait le bourgeois par ses grossièretés et sa saleté. Il se roulait dans la boue avant d’aller frotter sa bosse à celles et ceux qui avaient le malheur de croiser sa route. Le « Pierlala » était l’archétype même de l’inversion des classes sociales et de la dépravation des mœurs durant le carnaval. Ici les deux personnages de polichinelles arborent un visage lisse, pacifique et enfantin, accompagné d’une fleur souriante. Ils opèrent ainsi un renversement de symboles de ce sombre personnage autrefois craint et chamailleur.
Les indispensables parapluies, berguenaere

Les grands parapluies ont fait leur apparition au milieu du XIXe siècle. Les carnavaleux auraient adopté ce parapluie pour tourner en dérision les paysans qui venaient regarder le défilé en ville. À l’origine, les berguenaeres étaient assez dangereux, il a fallu les emmancher. En 1955 les sociétés philanthropiques firent inscrire sur le manche le nom de leur association ou un slogan. Il devint à ce moment-là une sorte de bannière. Aujourd’hui chacun et chacune décore son berguenaere comme il le souhaite, avec un code couleur en harmonie à son costume ou sa bande. Ils peuvent y faire pendre des sprats (petit poisson de la taille d’une sardine). Aux parapluies s’ajoutent des plumeaux multicolores, le plum’tcheemmanchés également, ils embaument des parfums bon marché ou des extraits de poissons pour taquiner les spectateurs.
Carnaval citadelle (film)
Au carnaval de la Citadelle, les carnavaleux et carnavaleuses reprennent en chœur le fameux air de la chanson « L’après-bande » du groupe musical Les Prouts : « Dans sa tête il fait encore la bande / il entend les masquelours chanter / Il et si bien qu’i veut plus descendre / de l’autel ou Jean Bart l’a amené ». Ces chansons sont généralement gaies, souvent grivoises et le plus souvent très entraînantes.
Chahut de carnaval (film)
La musique et les chansons constituent une des caractéristiques essentielles du carnaval de Dunkerque. On s’élance dans le chahut en chantant les airs connus. Elles incarnent la joie et un sentiment d’appartenance, car les Dunkerquois les connaissent depuis l’enfance. Des recueils de chansons ou des compilations existent. Depuis 1900, toutes les visschersbendesse terminent avec la « Cantate à Jean Bart », un genou à terre et constitue l’hymne dunkerquois.
Lancé de Harengs Carnaval (film)
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le lancer de harengs est une tradition relativement récente. La Municipalité en prit l’initiative en 1978 lorsque Claude Prouvoyeur était maire de Dunkerque ; « Prouvoyeur, des klipers (harengs fumés) ! », avait-on coutume de scander sous le balcon de la mairie. Lorsque ce fut Miche Delebarre, la rime fut : « Delebarre des homards ! ». Harengs salés et fumés, bien emballés sous cellophane, sont depuis lancés, telle une manne céleste, par le détenteur du pouvoir à son peuple… On pourrait d’ailleurs considérer qu’il s’agit d’un renversement du carnaval censé incarner l’opposition entre une élite sérieuse et austère, l’ordre établi, et un populaire comique et subversif, incarné par le carnaval.