Jean Bart est un personnage historique, un corsaire dunkerquois de la fin du XVIIe siècle, célèbre pour avoir tenu tête aux Anglais, ennemis de la France, notamment pendant la guerre de Hollande (années 1670), puis officier de la marine royale (capitaine de frégate en 1679, capitaine de vaisseau en 1689, enfin chef d’escadre). Mais il est surtout un marqueur fort de l’identité dunkerquoise. Sa mémoire est honorée de diverses manières dans sa ville natale. De nombreux bâtiments portent son nom depuis la fin du XVIIIe siècle. En 1845, une statue à son effigie, sculptée par David d’Angers, est érigée sur la place royale, rebaptisée place Jean Bart, au centre de la ville. Elle fait l’objet d’une commande municipale, financée par souscription publique, l’artiste travaillant bénévolement en l’occurrence.
David d’Angers est surtout connu comme auteur du fronton du Panthéon honorant les gloires nationales, et pour la réalisation de quelque six cents médaillons représentant des hommes et femmes célèbres de son temps. La statuaire civique monumentale est le genre le plus conforme à son engagement politique républicain. Il applique généralement dans ses monuments publics une formule qui associe l’effigie « physiognomonique » du personnage en costume moderne élevé « en apothéose », à des bas-reliefs historiés décorant le socle. Dans le cas de Jean Bart, le corsaire est représenté debout, brandissant son sabre d’une main et tenant son pistolet de l’autre, enjambant un canon au sol. Dans une lettre adressée à Benjamin Morel, député dunkerquois à l’initiative du projet, David résume sa réalisation ainsi : « J’ai voulu indiquer par le mouvement général de la figure que Jean Bart arrive à l’abordage et appelle ses soldats par un geste qui peut être vu de tout son monde. » Le héros est figuré jeune, déterminé, en mouvement. Ses cheveux bouclés flottent sous son chapeau à plume. La tension interne, la recherche de mouvement et d’expression font de cette œuvre une réalisation typiquement romantique.
C’est cette silhouette qui orne les badges et écussons, les stickers, les T-shirts et même les bavoirs (créations DKDRAGE.fr, l’esprit dunkerquois), les mugs, les magnets des enfants de la cité. Bon nombre de bières, de brasseries (Les Enfants de Jean Bart à Téteghem) de bistros, de tabacs (la Civette Jean Bart) de restaurants (La Taverne de Jean Bart), de pâtisseries (Les Délices de Jean Bart), de chocolaterie (Chocolats Jean Bart) mais ce nom désigne aussi des associations sportives (Société omnisports, société de tir), des études notariales, des agences immobilières (Jean Bart Immobilier, Jean Bart location), un lycée, un lieu d’accueil de mineurs en difficulté, des résidences. « Les doigts de Jean Bart » sont une spécialité de pâtisserie locale.
La place de Jean Bart dans la ville et dans le carnaval est importante. Il y a évidemment d’autres Dunkerquois célèbres, mais aucun ne bénéficie de la notoriété populaire du corsaire. Le terme « enfant de Jean Bart » est une paraphrase de la qualité de Dunkerquois. Il est présenté comme le héros et comme l’incarnation des Dunkerquois audacieux, courageux, opiniâtre – une raison de fierté. La bibliographie le concernant est fournie ; Michel Delebarre, ancien maire de Dunkerque, y a contribué (Jean Bart, la légende du corsaire, Michel Lafon, 2002), soulignant, en avant-propos, la distinction entre le Jean Bart des historiens et celui des Dunkerquois. Pour l’auteur, dans la ville rasée pendant la deuxième guerre mondiale, « privée de racines », le souvenir du corsaire assure le lien au passé.
Plusieurs chansons du carnaval de Dunkerque font référence à l’homme de façon plutôt familière (« Qu’est-ce qui darre / C’est Jean Bart », « Où irons-nous le mercredi des cendres »), mais la cantate qui lui est consacrée clôture en revanche la sortie de la bande de Dunkerque de façon très solennelle, ce qui montre bien la double dimension d’exceptionnalité et de familiarité qui caractérise la figure.